Le cinéaste David Lynch, qui est aussi plasticien, photographe et grand amateur de lithographies, invite les visiteurs à le suivre pour une promenade personnelle à travers les images de la foire Paris Photo. Il a choisi 99 photographies parmi toutes celles qui sont présentées par les galeries, et les a rassemblées dans un livre publié aux éditions Steidl.
Comme dans ses films, ces images racontent des histoires inquiétantes et étranges. Un bordel vide aux lumières étincelantes par Katharina Bosse, une famille de Gitans photographiée à travers les âges par Mathieu Pernot, un paysage nocturne hanté d'Olivier Metzger, une photo anonyme où un groupe de gens semble réuni pour on ne sait quel événement mystérieux. Mais le cinéaste, joint au téléphone à Los Angeles, est tout sauf d'humeur sombre.Comment êtes-vous venu à la photographie ?
Après mon film Blue Velvet, une entreprise m'a fait cadeau d'un appareil. En échange, je devais leur envoyer une photo que j'aurais prise avec. J'étais très excité, car à l'époque j'avais des fourmis dans ma cuisine ! J'ai formé une petite tête humaine avec du fromage, de la dinde, et une pâte qu'on appelle la "cire du croque-mort" (mortician wax), utilisée pour les effets spéciaux. Et pendant quatre jours, j'ai photographié les fourmis en train de grimper sur la tête et de la dévorer. C'était vraiment beau ! Je leur ai envoyé une de ces images. Et j'ai été pris par le virus photographique.
Que photographiez-vous ?
J'aime photographier des nus féminins. Je suis fasciné par l'infinie variété des corps : c'est étonnant et magique de voir comme chaque femme est différente. J'aime beaucoup l'approche de Diane Arbus, qui sait révéler quelque chose d'inconnu dans ses modèles. Moi, je fais beaucoup de gros plans, jusqu'à ce que le corps devienne une abstraction. Je photographie aussi des usines désaffectées. Quand la nature reprend possession de ces vieilles usines.
Quelle différence faites-vous entre vos films et vos photographies ?
Chaque plan de cinéma est une photographie. Les mêmes règles s'appliquent : la composition, la lumière – il y a vraiment des similarités. Même si on ne voit pas une image de la même façon lorsqu'elle bouge. J'ai commencé par peindre. Pour moi, la peinture est l'activité la plus privée du monde. On est seul. Le cinéma est l'activité la plus publique, on travaille en équipe. Et entre les deux, il y a la photographie.
Comment avez-vous sélectionné les images de Paris Photo ?
J'en ai vu des milliers, et j'ai choisi les plus fortes, celles qui me sautaient aux yeux. J'ai réduit la sélection jusqu'à obtenir 99 images. Je ne sais pas vraiment s'il y a un lien entre elles. Il n'y en a pas une que je préfère, mais dans le livre, elles s'enchaînent facilement. Je dirais qu'on pourrait en faire un film. Elles semblent toutes raconter une histoire. Ou alors elles sont comme une scène, en attente d'un événement. J'aime les images où il va se passer quelque chose.
Comment parvenez-vous à mener toutes vos activités, la photo, la lithographie, le cinéma ?
Je profite de mes voyages. Je vais bientôt en Pologne pour le festival Camerimage (du 24 novembre au 1er décembre), pour une rétrospective, à Bydgoszcz. A cette occasion, ils vont ouvrir pour moi trois usines fermées au public. A Paris, je vais faire des lithographies à l'imprimerie d'art Idem, à Montparnasse. C'est un endroit incroyable. J'aimerais bien aussi photographier en France. Je ne sais pas où je pourrais trouver des usines abandonnées...
Peut-être dans le Nord ?
Oui. Vous pensez qu'on y trouve aussi des femmes nues ?
Vu par David Lynch, Ed. Steidl, 208 p., 111 images, 20 €.
Sur le Web : www.parisphoto.com/parisphoto-vu-par.html et davidlynch.com.
Claire Guillot (propos recueillis)